Depuis les observations finales du rapport initial formulées en 2016, plusieurs mesures ont été adoptées ou annoncées par les autorités burkinabè en vue d’améliorer les droits économiques, sociaux et culturels. En effet de la multitude d’observations formulées quatre points ont été retenus par l’université Joseph KI Zerbo pour le suivi. Il s’agit notamment des droits syndicaux, la corruption, des violences envers les femmes et le droit à l’éducation.
De l’examen de ces points il ressort l’état des lieux suivants :
Des droits syndicaux
Depuis le dernier passage du Burkina Faso au CDESC nous pouvons retenir que du point de vue des droits syndicaux, le cadre législatif n’a pas évolué en ce sens qu’aucune disposition législative n’a été adoptée afin de protéger les droits et libertés syndicales conformément aux recommandations du CDESC.
S’agissant de la protection des travailleurs syndiqués et leurs dirigeants contre les actes d’intimidation, le constat dans la pratique permet de relever que l’Etat ne semble pas pour le moment procéder à la mise en œuvre de cette recommandation. Les faits et évènements ci-après confortent la position selon laquelle les droits syndicaux depuis 2016 connaissent un recul :
- Le 16 septembre 2019, une marche pacifique organisée par plus de vingt (20) d’organisations de la société civile (OSC) dont la Confédération Générale du Travail du Burkina (CGT-B) et l’Union d’Action Syndicale (UAS) a été violemment réprimée par les Forces de Défense et de Sécurité. Cette répression a occasionné plusieurs blessés.
- Le 14 novembre 2018, le conseil des ministres a décidé d’interdire les activités du syndicat national de la garde de sécurité pénitentiaire (SYNAGSP) pour « manquement à la législation encadrant les activités syndicales ». Suite à cette décision, l’ensemble des syndicats ont invité le gouvernement à reconsidérer urgemment cette décision. Selon le comité de la liberté syndicale du BIT, les mesures de suspension ou de dissolution par voie administrative constituent de graves violations de la liberté syndicale (article 4 de la convention n 87).
- Le 21 mai 2018, le gouvernement empêche la tenue de piquet de grève. Dix-huit syndicats ont dénoncé, en mai, la violation par le gouvernement burkinabè de leurs libertés syndicales, notamment en ce qui concerne la pratique, pourtant courante, de sit-in pour exprimer leur mécontentement et exercer leur droit syndical. En effet, à l’issue d’un conseil de ministre, le gouvernement a déclaré le 2 mai tout sit-in illégal. Au commencement de leur grève de 120 heures sur tout le territoire national, les agents du MINEFID ont ainsi été empêché par la police d’accéder à l’enceinte du ministère pour tenir leur piquet de grève.
- Le 20 janvier 2018 : obstacles à l’organisation d’activités syndicales. Selon le syndicat national des travailleurs du bois et du bâtiment (SNTBB), les employeurs usent de prétexte fallacieux pour gêner l’organisation des activités des syndicats. Le SNTBB rapporte que de nombreux employeurs refusent de libérer les travailleurs en prétextant des questions d’organisation du travail. En 2017, la SOGEA-SATOM, une multinationale française, a refusé de libérer les travailleurs afin qu’ils puissent participer à une campagne de sensibilisation sur les conventions 87 et 98 de l’OIT organisée par le SNTBB sous prétexte que l’entreprise accusait un retard sur le délai d’exécution du chantier en cours.
- Le 07 janvier 2020 des travailleurs du secteur privé se voient refusés du droit de se syndiquer dans le secteur minier, où les embauches se font principalement à travers d’agences temporaires et d’entreprises de sous-traitance, les travailleurs qui choisissent de se syndiquer sont soit intimidés, mutés et même licenciés par leur employeur, notamment dans les entreprises suivantes : les mines d’or gérées par Iamgold SA, Norgold SA, Avocet Mining, Andover Mining
- L’affaire Alliance Police Nationale (APN) avec le licenciement des policiers. Ces derniers ont saisi la justice et ont remporté le procès. Cependant l’Etat a mis du temps (01 an) dans leur réintégration
- Courant 2020 dans le domaine éducatif, des enseignants ont vu leurs salaires suspendre pour fait de grève
- En 2021, le secrétaire général du CGT-B a été convoqué par le conseil de discipline pour n’avoir pas respecté son volume horaire de travail. Cette mesure remet en cause la convention de l’OIT sur les permanences syndicales.
De la corruption
Le comité a recommandé l’Etat du Burkina à redoubler d’efforts dans la lutte contre la corruption, les flux financiers illicites et l’impunité qui y est associée, et de garantir la transparence absolue dans la conduite des affaires publiques, en droit et dans la pratique. Aussi, il de sensibiliser les responsables politiques, les parlementaires et les fonctionnaires nationaux et locaux aux coûts économiques et sociaux de la corruption, ainsi que les juges, les procureurs et les agents des forces de l’ordre à la stricte application de la législation.
Pour se conformer aux recommandations ci-dessus citées, des avancées notables sont à relever.
Sur le plan normatif et institutionnel, il y a eu :
- L’adoption de la loi n°033-2018/AN du 26 juillet 2018 portant modification de la loi n°004-2015/CNT du 03 mars 2015 portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso ;
- L’adoption de loi n°016-2016/AN du 3 mai 2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Burkina Faso ;
- La création des pôles judiciaires spécialisés auprès des TGI de Ouaga II et de Bobo-Dioulasso. Ces TGI sont désormais compétents pour connaitre dans des conditions prévues par la loi, des infractions de très grande complexité en matière économique et financière et en matière de criminalité organisée ;
- La création de la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) par la loi 016-2016/AN du 03 mai 2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Burkina Faso. La cellule a reçu sur la période de 2008 au 30 septembre 2020 un portefeuille total de 1 159 déclarations d’opérations suspectes (DOS).
- L’adoption de l’arrêté n°2017-009/MJDHPC/CAB du 7 septembre 2017 créant un Comité anti-corruption (CAC-MJ) au sein ministère en charge de la justice et des droits humains.
- L’adoption d’une stratégie de dynamisation des Comités Anti-Corruption du MINEFID assortie d’un plan d’actions. 31 missions d’information et de sensibilisation des agents du MINEFID ont été menées à Ouagadougou et dans les régions. Par ailleurs, l’évaluation des dispositifs de contrôle interne de 28 structures et 05 programmes budgétaires du MINEFID a été faite.
- L’élaboration d’une nouvelle stratégie de lutte contre le BC/FT qui sera assortie d’un plan d’action 2021-2025. Des actions de renforcement des capacités opérationnelles des différents acteurs permettront de renforcer la lutte contre les flux financiers illicites.
En matière d’actions entreprises, il y a :
- La promotion de la déontologie et de l’éthique professionnelle au sein de l’appareil judiciaire qui s’est traduite par la création, par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), d’une commission d’admission des requêtes contre les manquements des magistrats
- Entre 2015 et 2018, une Campagne d’information et de sensibilisation sur la loi anti-corruption a été organisée au profit des leaders d’opinion, religieux, coutumiers, responsables politiques, administratifs, associatifs, jeunes et femmes dans 113 localités du pays (départements/Communes).
- Des activités de contrôle, d’audit et des investigations sont régulièrement menées tout au long de l’année par l’ASCE-LC et le REN-LAC afin de prévenir, de détecter et de réprimer la corruption et les infractions assimilées. De ce fait, les autorités de la transition ont instruit à l’ASCE-LC, la conduite d’audit au sein de l’assemblée nationale, de plusieurs ministères et d’établissement publics de l’Etat afin de détecter des cas éventuels de mal gouvernance.
Malgré ces efforts entrepris par l’Etat on a pu déplorer des cas emblématiques de corruption qui n’ont toujours pas connu de suite à la justice. C’est le cas notamment de l’affaire du charbon fin où le ministre en charge des mines a été directement impliqué, l’affaire du maire de Ouagadougou sur l’acquisition des véhicules au profit de la commune dans laquelle est impliquée un acteur judiciaire.
Des violences envers les femmes
Le Comité engage l’État partie :
A réviser sa loi portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles et prise en charge des victimes, afin de pénaliser tout acte de viol entre époux, sans conditions ;
A garantir l’accès à la justice aux victimes de violence familiale, violence sexuelle, et violence contre les femmes âgées accusées de sorcellerie, en encourageant le signalement des infractions et en veillant à ce que les auteurs soient poursuivis et condamnés ;
À redoubler d’efforts dans sa lutte contre les mutilations génitales féminines, notamment en agissant sur la base d’études, corroborées par des données empiriques, sur les causes profondes de ces pratiques et en menant une campagne de sensibilisation continue contre ces pratiques ;
A garantir l’accès des victimes à des services adéquats de rétablissement, de conseil et de réhabilitation, et de prendre des mesures pour sensibiliser les agents chargés de l’application des lois ainsi que le public, à l’élimination de toute forme de violence à l’égard des femmes.
Le Comité se réfère à cet égard à son observation générale no 22 (2016) sur la santé sexuelle et reproductive.
Pour le moment, une révision de la loi no 061-2015/CNT du 6 septembre 2015 portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles et prise en charge des victimes n’est pas entreprise.
Seulement, la question de l’opportunité de sa révision se pose actuellement dans la mesure où le contenu de la loi a été largement reversé dans le nouveau code pénal et assorti de sanctions. Ce qui donne désormais au juge les moyens de réprimer les différentes formes de violences à l’égard des femmes.
Toutefois, la question du viol entre époux implicitement prise en charge dans la loi 061, a été reprise par la révision du code pénal de 2018 avec pour modification le rehaussement de la peine d’amende à l’encontre des auteurs passant de 100.000 FCFA minimum à 250 000 FCFA. En effet, ce code dispose en son article 533-12 que « lorsque le viol est commis de manière répétitive sur une partenaire intime et habituelle avec qui l’auteur entretient des relations sexuelles stables et continues ou lorsque ladite partenaire est dans une incapacité physique quelconque d’accomplir une relation sexuelle, la peine est d’une amende de deux cent cinquante mille (250 000) à six cent mille (600 000) francs CFA ».
Même si cette disposition permet de réprimer indirectement le viol entre époux, elle n’institue qu’une répression pécuniaire dérisoire comparativement à la répression prévue pour le viol en général.
En plus, la condition de répétition de l’acte est ambiguë car ne précise pas le nombre de fois qu’il doit être posé afin d’être considéré comme répétitif et passible de sanction. D’ailleurs, la preuve à apporter pour les cas de viol est difficile à établir et les frais des examens sont coûteux et à la charge des victimes très souvent (par exemple la victime doit débourser 15 000 FCFA pour obtenir un certificat médical pour viol).
Relativement à l’accès la justice aux femmes victimes de violence, l’Etat du Burkina Faso a prévue des mesures pour faciliter cet accès. Il s’agit de la relecture en 2021 du décret portant organisation de l’assistance judiciaire qui permet aux femmes victimes de violences de bénéficier d’office de l’assistance judiciaire.
Par ailleurs, le Burkina Faso a posé des actions concrètes telles que les actions de sensibilisation lors des journées internationales de la femme, les 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes, à travers des thématiques intéressant la protection de la femme. En décembre 2020, les services techniques du ministère de la femme en ont pris en charge 4 253 femmes et filles victimes de mariages d’enfant, de coups et blessures volontaires, de viols, d’exclusion pour allégation de sorcellerie, de mutilations génitales féminines.
Un pas de plus dans la volonté du gouvernement de promouvoir le genre et de lutter contre les VBG, numéro vert (80 00 12 87) d’alerte et de dénonciation des VBG a été mis en place le 02 mars 2021 par le ministère en charge de la femme avec l’appui du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). Depuis le lancement du numéro, 1117 cas ont été enregistrés par le centre d’appel mis en place à cet effet à la date du 31 octobre 2021 dont 40,72% de ces dénonciations sont des violences conjugales.
Recommandations au CDESC d’engager l’Etat de :
- Mettre en place les organes spécialisés de lutte contre les violences à l’égard des femmes et des filles, et opérationnaliser le fonds de prise en charge des victimes.
- Réviser le code des personnes et de la famille pour instituer un âge minimum de mariage de 18 ans égal pour l’homme et la femme pour toutes les formes de mariage ;
- Opérationnaliser les centres de prise en charge des victimes des violences
- Procéder à la reconnaissance et à l’enregistrement des mariages coutumiers et religieux afin de lutter contre les violences faites aux femmes ;
- Interdire et sanctionner proportionnellement les violences faites aux filles et femmes travailleuses domestiques ;
- Exiger le salaire minimum pour les filles et femmes travailleuses domestiques et veiller à poursuivre et sanctionner les employeurs mauvais payeurs ;
- Poursuivre les campagnes de sensibilisation sur les droits de la femme surtout en milieu rural ;
- Décentraliser le Programme d’autonomisation économique des femmes et des filles afin de permettre aux femmes rurales de pouvoir postuler facilement ;
- Réviser la loi n°061-2015/CNT pour redéfinir le viol conjugal et le réprimer proportionnellement à la gravité de l’infraction ;
De l’accès à l’éducation
Le Comité recommande à l’État partie de renforcer les mesures tendant à garantir l’application effective de la gratuité des frais de scolarité au niveau de l’enseignement primaire et, progressivement, au niveau secondaire; d’assurer la mise en œuvre du Plan de développement stratégique de l’éducation de base pour garantir l’accès de tous les enfants au système éducatif, en mettant un accent sur l’enseignement préscolaire et en encourageant l’éducation inclusive pour les enfants ayant un handicap; et de remédier d’urgence au taux élevé d’abandon scolaire dans le primaire et le secondaire, particulièrement pour les filles, par la mise en œuvre de la Stratégie nationale d’accélération de l’éducation des filles. Il lui recommande aussi d’améliorer la qualité et l’infrastructure des écoles, en particulier dans les zones rurales, et de poursuivre ses efforts dans le cadre du plan d’alphabétisation.
L’Etat du Burkina Faso a pris un nombre de mesures et programmes. Il s’agit entre autres :
- De l’adoption de la stratégie nationale d’accélération de l’éducation des filles 2012- 2022, à travers la mise en œuvre du projet d’amélioration de l’accès et de la qualité de l’éducation pour les enfants issus des milieux défavorisés
- La mise en place de lycées scientifiques afin de mettre l’accent sur les disciplines scientifiques.
- L’adoption de politique sectoriel de l’éducation et de la formation 2017-2030
- La construction de 132 Complexes scolaires accueillant les filles dans 10 provinces
- Le programme de normalisation des classes au niveau du primaire qui a permis d’effacer 300 classes sous paillote effacées 2020.
Cependant, la situation d’insécurité a exacerbé les cas de violations du droit à l’éducation. En effet à la date du 10 mars 2022, 3683 écoles sont fermées affectant ainsi 590.327 élèves et 17.309 enseignants. Ces statistiques représentent 14,71% des structures éducatives. Ces faits privent ces enfants du droit à l’éducation. Par ailleurs, on note l’abandon scolaire des filles du fait des mariages précoces et forcés
Recommandations au CDH d’engager l’Etat de :
- Réviser la loi n°013-2007 d’orientions de l’éducation au Burkina afin de prendre en compte la question de la répression de la violation à l’obligation de maintenir l’enfant dans l’enseignement de base jusqu’à l’âge de 16ans
- Prendre des mesures afin d’atténuer les écarts des inégalités entre élèves issus des milieux défavorisés notamment les zones d’insécurité et les zones favorisés
- Prendre des mesures administratives afin d’inclure les enfants vivant avec un handicap dans les établissements scolaires d’enseignement général notamment en prévoyant des rampes d’accès pour les élèves vivant un handicap
Ont élaborés :
Mathias NADINGA
Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme
Issouf BELEM
Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme
Youssouf MAIGA
Ministère de la Justice, des droits Humains et des relations avec les Institutions
Sombouda Mathias KABORE
Ministère de la Justice, des droits Humains et des relations avec les Institutions
Sandrine Régine Rita Nina MILLOGO
Association des Femmes Juristes du Burkina Faso
Véronique ZANGRE
Association des Femmes Juristes du Burkina Faso
Mouhyidine OUEDRAOGO
Centre d’Information, de Formation en matière de Droits en Afrique
Eugenie WARE
Centre pour la Gouvernance Démocratique
Fatimata DEME
Association des Bloggeurs du Burkina
Rapporteur
Abel KAFANDO
Centre pour la Qualité du Droit et la Justice
Sous la Coordination :
Dr. Dié Léon KASSABO
Enseignant Chercheur à l’Université Thomas SANKARA