Depuis les observations finales du rapport initial formulées en 2016, plusieurs mesures ont été adoptées ou annoncées par les autorités burkinabè en vue d’améliorer les droits civil et politiques des citoyens. En effet de la multitude d’observations formulées quatre points ont été retenus par l’université Joseph KI Zerbo pour le suivi. Il s’agit notamment de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH), l’enquête sur les violations des droits de l’homme, l’égalité entre hommes et femmes et pratiques préjudiciables à l’égard des femmes et l’interdiction de la torture et des mauvais traitements
De l’examen de ces points il ressort l’état des lieux suivants :
Commission nationale des droits humains (CNDH)
L’État partie est encouragé à adopter sans plus attendre le décret portant organisation et fonctionnement de la Commission nationale des droits humains, nommer ses nouveaux membres, garantir son indépendance et la doter d’une autonomie financière et de ressources suffisantes lui permettant d’accomplir pleinement son mandat, en conformité avec les Principes de Paris.
Nous pouvons noter que l’État burkinabè a fait des efforts dans le sens de conformiser la CNDH aux principes de Paris. Au nombre des mesures allant dans ce sens, nous pouvons citer l’augmentation substantielle du budget, l’effectivité de l’autonomie financière et l’adoption du décret N°2017-0209/PRES/PM/MJDHPC/MINEFID portant organisation et fonctionnement de la CNDH du 09 avril 2017. Malgré ces efforts, la CNDH est toujours confrontée à une insuffisance de ressources l’empêchant d’étendre ses services au niveau national. A ce jour, la CNDH n’a pu déployer qu’une seule antenne à Bobo-Dioulasso deuxième ville du Burkina Faso. Également, tout le personnel administratif de la CNDH est constitué de fonctionnaires mis à la disposition par le ministère de la justice et des droits humains. La CNDH envisageait demander son accréditation auprès de l’alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme dès la publication de son premier rapport. Le rapport est intervenu le 28 Décembre 2021.
Enquêtes sur des violations des droits de l’homme
L’État partie devrait poursuivre ses efforts pour faire la lumière et établir la responsabilité des crimes commis par le passé et il devrait enquêter sur les cas de violations des droits de l’homme documentés par les Commissions d’enquête, poursuivre les auteurs présumés et sanctionner les coupables proportionnellement à la gravité de l’infraction. Il devrait par ailleurs veiller à ce que toutes les victimes disposent d’un recours utile, y compris des mesures adéquates d’indemnisation, de restitution et de réadaptation.
Dans l’optique de situer les responsabilités en ce qui concerne les crimes politiques, l’Etat du Burkina Faso a adopté la loi NO74-2015/CNT portant création, attributions, composition, organisation et fonctionnement du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale (HCRUN). Le HCRUN est cette autorité administrative indépendante qui a pour mission d’enquêter sur les crimes politiques de 1960 à 2015 afin de situer les responsabilités. Dans cette optique, l’Etat a pris des mesures pour le bon fonctionnement et l’indépendance de cette institution. En effet, une immunité est accordée à ses membres pour tout acte accompli dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leur mission. En outre, la loi N° 74-2015/CNT en son article 16 garantit l’indépendance des membres du HCRUN dans l’exercice de leur fonction vis à vis des pouvoirs publics, des partis politiques et de tout groupe d’intérêt même si de notre avis le mode de désignation des conseillers n’est pas de nature à favoriser leur indépendance. En effet, selon l’article 5 de la loi N° 74-2015/CNT, les membres du HCRUN sont nommés par le Président du Faso, le premier ministre ou le président de l’Assemblée Nationale. La désignation des conseillers par des autorités politiques peut être guidé par des motivations politiques. Toute chose qui entrave l’indépendance de l’institution. A ce titre, le mode de désignation des membres d’une autre Autorité Administrative Indépendante qu’est la CNDH, peut inspirer et garantir mieux l’indépendance de l’institution.
Il ressort du rapport du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale que : Pour les crimes de sang commis lors des coups d’Etat de 1982, 1983, 1987 et 1989 dont les investigations ont établi le caractère volontaire des actes ayant entrainé la mort qu’il est proposé, outre les réparations pécuniaires, une reconnaissance officielle des actes, ainsi que la construction de mémoriaux et autres éléments de mémoire en souvenir des disparus. L’indisponibilité de statistiques sur le nombre d’enquêtes bouclées ne permet pas d’émettre un jugement objectif sur le travail du HCRUN pendant ces cinq années.
Quant à l’affaire Thomas SANKARA, le jugement a débuté le 11 octobre 2021 malgré l’absence des deux principaux accusés, le verdict est désormais connu depuis le 06 avril 2022.
Tout en notant un dénouement dans le dossier du putsch manqué de septembre 2015 en septembre 2019, nous demeurons préoccupés du manque de mesures de réadaptations des victimes. Nous regrettons aussi que le dossier de l’insurrection populaire de 2014 soit toujours au stade de l’instruction.
Nous notons que l’Etat ouvre systématiquement des enquêtes. Pour faire la lumière sur toutes les allégations de violation de droits humains y compris celles en lien avec la torture, les mauvais traitements et l’usage excessif de la force par les forces de défense et de sécurité et les initiatives locales de sécurité lors d’opérations antiterroristes. Ainsi nous pouvons citer : le massacre de Barga en mars 2020, massacre de Yirgou en 2019, mort suspect de détenus pour fait de terrorisme à Tanwalbougou en mai 2020, le drame de INATA de 14 NOVEMBRE 2021 etc…. Nous nous inquiétons de la lenteur des enquêtes et de l’absence d’autres mesures pour accélérer le traitement. Le 15 aout 2018, les passagers d’un tricycle ont été victime de tirs à balles réelles de la part d’éléments de la CRS. Ces tirs ont blessé deux passagères du tricycle. Quelques jours plus tard, soit le 02 septembre 2018, deux autres personnes, membres d’un cortège de mariage ont été admises au centre hospitalier universitaire Souro SANOU (CHUSS) pour des soins suite à des blessures occasionnés par des tirs à balle réelle d’éléments de la police nationale. Dans les deux cas, la police a justifié les tirs par des refus d’obtempérer des conducteurs des différents engins motorisés suite aux injonctions de stationner émanant des éléments de la Police. Nous pouvons donc constater que pour si peu, les forces de sécurité n’hésitent pas à ouvrir le feu à balles réelles sur des citoyens désarmés au risque de leur ôter la vie ce qui montre le non-respect des protocoles d’utilisation des armes à feu par ces derniers. Dans tous les deux cas que nous avons cité, aucune information n’est jusqu’ici disponible sur les suites administratives et judiciaires apportées par les autorités à ces deux affaires.
Recommandations au CDH d’engager l’Etat de :
- Changer le mode de désignation des membres par un autre mode garantissant mieux leur indépendance.
- Fournir des statistiques sur le nombre d’enquêtes bouclées par le HCRUN
- Redoubler d’effort pour que le dossier de l’insurrection populaire 2014 soit jugé, que les auteurs de ces violations soient sanctionnés et que les victimes reçoivent une indemnisation adéquate.
- S’assurer qu’il y’ait des mesures de réadaptation pour les victimes et les mesures de prise en charge des veuves et des orphelins.
- Mettre de la volonté et créer toutes les conditions pour accélérer l’instruction.
- Poursuivre les efforts pour faire la lumière et établir les responsabilités sur toutes ces allégations de violation de droits humain.
Égalité entre hommes et femmes et pratiques préjudiciables à l’égard des femmes
L’État partie devrait : (a) réviser le Code des personnes et de la famille afin de garantir un âge minimum de mariage égal pour les hommes et les femmes qui s’applique à tous les mariages, y compris aux mariages traditionnels ou religieux, et prendre des mesures pour réduire la polygamie, en vue de sa suppression ; (b) élargir l’interdiction des mariages forcés aux mariages traditionnels ou religieux ; (c) veiller à l’enregistrement officiel des mariages traditionnels ou religieux et à la vérification systématique de l’âge des époux et leur consentement; (d) poursuivre les efforts de sensibilisation et développer de nouvelles stratégies d’intervention pour éradiquer les mutilations génitales féminines ; et (e) renforcer les actions d’éducation et de sensibilisation de la population, y compris des chefs religieux et coutumiers en matière de lutte contre les pratiques traditionnelles préjudiciables à l’égard des femmes et garantir la mise en œuvre effective des dispositions légales garantissant l’égalité en matière d’héritage et d’accès aux terres.
La relecture du code des personnes et de la famille (CPF) est en cours depuis plusieurs années et se fait de concert entre l’Etat et toutes les forces vives de la nation. Au premier semestre de l’année 2021, plusieurs organisations de la société civile ont été invitées par le Ministère en charge de la justice et des droits humains à apporter leurs amendements à l’avant-projet de loi portant code des personnes et de la famille, selon leurs domaines d’expertise.
A cette occasion, les organisations ont noté l’harmonisation de l’âge minimum légal de mariage fixé à 18 ans pour les filles et les garçons. Toutefois, l’avant-projet de loi prévoit une exception de 17 ans pour les filles, une disposition qui va à l’encontre des principes généraux du code qui interdisent les mariages d’enfant (personnes de moins de 18 ans) et des obligations internationales de l’Etat Burkinabè notamment la Convention relative aux droits de l’enfant. Cette exception est liée à nos réalités socio-culturelles et visent à concilier les points de vue des différents acteurs.
L’avant-projet consacre la reconnaissance des mariages coutumiers et religieux qui avait été mentionnée dans la modification du Code pénal en 2018. Désormais les couples formés sous ces types d’unions peuvent faire retranscrire leurs mariages par l’officier d’Etat civil dans les délais prévus à cet effet dans le but de leur donner la même valeur juridique qu’un mariage célébrée devant l’officier d’Etat civil. Sur cette question les points de vue divergent sur le consentement éclairé des futurs époux.
Cependant, la question de la polygamie n’a pas considérablement évolué dans l’avant-projet du CPF. Même si la monogamie constitue la forme de droit commun du mariage, l’option de la polygamie y est maintenue. Les us et coutumes rendent le débat difficile sur sa suppression.
Les résistances contre l’avant-projet de loi du CPF sont notées principalement chez les religieux et les coutumiers. Les organisations de la société civile travaillent à lever ces obstacles à travers des sensibilisations et des plaidoyers à leur endroit.
L’état des lieux des mutilations génitales féminines (MGF) fait ressortir une évolution lente mais positive en ce qui concerne l’ampleur de la pratique et sa répression. Selon l’Etat burkinabè, le taux de prévalence de l’excision chez les femmes en âge de procréer est passé de 76% en 2010 à 63% en 2018[1]. En 2018 la révision du Code pénal a consacré un relèvement de la sanction des auteurs d’une telle pratique. La sanction s’étend aussi bien aux complices actifs et passifs d’un tel acte qu’aux personnes qui en font l’apologie. Ainsi la peine d’emprisonnement de six mois à trois ans passe à un an allant à dix ans et l’amende de l’ordre de 150.000 FCFA à 900.000 FCFA passe à 500 000 FCFA au minimum et 3 000 000 de francs CFA au maximum.
Et lorsque la victime en décède, la peine maximale qui était de dix ans sans amende sous l’ancien code pénal, passe à vingt et un ans assortis d’une amende d’un million (1 000 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA.
En outre, les organisations de la société civile continuent le travail de sensibilisations auprès des communautés pour une réelle prise de conscience des méfaits des MGF et leur abandon. Elles font également le plaidoyer pour l’adoption de nouvelles normes sociales plus respectueuses des droits des filles et des femmes.
En matière d’héritage
Le code des Personnes et de la Famille ne fait pas de discrimination entre l’homme et la femme en matière d’héritage[2]. Cependant, dans les faits, les femmes rencontrent de nombreuses difficultés en matière de jouissance de leurs droits après le décès de leur conjoint. Cela s’explique par la persistance des pesanteurs socioculturelles, des croyances religieuses et coutumières qui accordent plus de droits à l’homme par rapport à la femme en matière d’héritage. Ainsi, de nombreuses femmes après le décès de leur conjoint sont chassées, dépouillées de leurs biens et sont souvent victimes de pratiques traditionnelles néfastes telles que le lévirat.
En matière d’accès à la terre
Bien que le gouvernement ait pris des mesures pour permettre à la femme d’avoir accès à la terre à travers l’engagement d’accorder 30% des terres aménagées aux femmes, la réalité se fait toujours attendre sur le terrain. En effet, les femmes ne jouissent pas totalement de leurs droits en matière d’accès à la terre. Selon la Stratégie Nationale de Promotion de l’Entreprenariat Féminin[3] , il ressort que seulement 8,2% des femmes sont propriétaires à elles seules de la terre. Le faible accès des femmes à la terre est un problème récurrent tirant sa source dans les règles coutumières de contrôle et de gestion de ces ressources. Le domaine foncier est généralement la propriété de la famille qui réserve seulement des droits d’usages à la femme, tandis que la forêt est sous l’autorité communautaire et/ou des hommes (chef de terre, responsables coutumiers). L’accès sécurisé à une terre fertile est une contrainte majeure pour la grande majorité des femmes en milieu rural.
Recommandations au CDH d’engager l’Etat à :
- Vulgariser le Code des Personnes et de la Famille pour son appropriation par les acteurs et la population notamment en termes de droits successoraux des femmes
- Accélérer la révision et l’adoption du nouveau code des personnes et de la famille
- Renforcer la sensibilisation auprès des leaders religieux et coutumiers pour lever les résistances liées au CPF
Interdiction de la torture et des mauvais traitements
L’État partie devrait : (a) veiller à prévenir la torture, notamment en renforçant la formation des acteurs de la justice, de la défense et de la sécurité ; (b) s’assurer que les cas présumés de torture et de mauvais traitements commis par les forces de l’ordre, les forces armées et les agents pénitentiaires fassent l’objet d’une enquête approfondie, que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et que les victimes soient dûment indemnisées et se voient proposer des mesures de réadaptation ; (c) garantir que les aveux obtenus sous la torture soient systématiquement rejetés par les tribunaux, conformément à sa législation et à l’article 14 du Pacte ; et (d) adopter dans les meilleurs délais les décrets de mise en œuvre de l’Observatoire national de prévention de la torture et autres pratiques assimilées.
Nous constatons l’adaptation de la loi n° 02-2021/AN du 30 mars 2021 portant modification de la n° 01-2016/AN portant création de la CNDH en vue d’élargir la compétence de la CNDH sur les cas de torture.
Pour ce qui concerne la sensibilisation des forces de défense et de sécurité (FDS), la politique de formation des FDS incluant la protection des droits humains dans les écoles de formations se poursuit. Aussi, des organisations de défense des droits humains appuient le gouvernement dans cette formation. Malgré la multiplication des formations à l’endroit des FDS, des cas d’allégation de mauvais traitement et de torture sont récurrent dans notre pays.
Nous notons que l’Etat ouvre régulièrement des enquêtes pour faire la lumière sur des allégations de violation de droits humains y compris celles en lien avec la torture, les mauvais traitements et l’usage excessif de la force par les forces de défense et de sécurité et les initiatives locales de sécurité lors d’opérations antiterroristes. Nous nous inquiétons de la lenteur des enquêtes et de l’absence d’autres mesures pour accélérer le traitement.
Tout en notant les progrès accomplis pour améliorer les conditions de détentions et réduire la surpopulation carcérale, nous demeurons préoccupés par cet état de fait ; lenteur administrative qui engorge les prisons, conditions d’hygiènes toujours déplorable, infrastructures vétustes.
Recommandations au CDH d’engager l’Etat à :
a) Mettre de la volonté et créer toutes les conditions pour accélérer l’instruction.
b) Poursuivre ses efforts pour faire la lumière et établir les responsabilités sur toutes ces allégations de violation de droits humain.
c) Redoubler d’effort pour réduire la surpopulation carcérale en accélérant l’instruction et les jugements.
d) Également poursuivre des efforts pour améliorer les conditions de vie et de traitement des détenus en réhabilitant les infrastructures sanitaires.
Ont élaborés :
Mathias NADINGA
Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme
Issouf BELEM
Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme
Youssouf MAIGA
Ministère de la Justice, des droits Humains et des relations avec les Institutions
Sombouda Mathias KABORE
Ministère de la Justice, des droits Humains et des relations avec les Institutions
Sandrine Régine Rita Nina MILLOGO
Association des Femmes Juristes du Burkina Faso
Véronique ZANGRE
Association des Femmes Juristes du Burkina Faso
Mouhyidine OUEDRAOGO
Centre d’Information, de Formation en matière de Droits en Afrique
Eugenie WARE
Centre pour la Gouvernance Démocratique
Fatimata DEME
Association des Bloggeurs du Burkina
Rapporteur
Abel KAFANDO
Centre pour la Qualité du Droit et la Justice
Sous la Coordination :
Dr. Dié Léon KASSABO
Enseignant Chercheur à l’Université Thomas SANKARA
[1] Cf. le rapport périodique de l’Etat soumis en application de l’article 40 du pacte international relatif aux droits civils et politiques suivant la procédure simplifiée couvrant la période 2016-2020
[2] Article 741. « Le conjoint survivant contre lequel n’existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée, est appelé à la succession, même lorsqu’il existe des parents, dans les conditions fixées par les articles suivants ».
[3] Stratégie Nationale de Promotion de l’Entreprenariat Féminin (SNPEF) Ministère de la Femme, de la Solidarité Nationale et de la Famille, (2016- 2025) 66 Pages.