Atelier en ligne pour la formation et l’échange sur :
Le Système de Protection des Droits de l’Homme des Nations Unies
11 – 13 avril 2022
Groupe en charge de rapport de suivi des DESC /UAM
Avril 2022
Introduction
Dans le cadre des activités du projet de TMT+ OKP-SHL-20049, intitulé « Faciliter l’émergence d’une communauté régionale de pratiques pour renforcer la résilience des communautés au Sahel », il a été organisé un atelier en ligne (distanciel) de renforcement de capacités de 3 Universités au Sahel (USJPB/Mali, UAM/Niger et UJKZ/Burkina Faso). Tenu du 11 au 13 Avril, cet atelier vise à familiariser les participant (e)s avec le « Système de Protection des Droits de l’Homme des Nations Unies ». Dans cette perspective, il a été développé à l’intention des participant (e)s des communications sur les mécanismes de suivi des rapports par les organes de traités, en particulier le comité des droits de l’homme (CDH) et le comité de surveillance de la mise en œuvre du Pacte relatif aux droits économiques sociaux et culturels (CDESC). Après cette phase préparatoire, il a été mis en place deux groupes de travail par pays, l’un devant produire un rapport de suivi des recommandations formulées par le CDH et l’autre devant travailler sur les recommandations formulées par le CDESC.
Le présent rapport de suivi est produit par le groupe DESC du Niger. Son objet est de fournir des éléments d’appréciation sur les efforts fournis par l’Etat du Niger en matière de mise en œuvre des recommandations adressées, en 2018, à son endroit par le comité DESC des Nations Unies à l’issue de l’examen du rapport initial soumis par l’Etat du Niger en 2017, conformément à l’article 17 du PIDESC.
Ne pouvant traiter de toutes les recommandations formulées à cette occasion, le groupe de travail a estimé judicieux de focaliser son rapport de suivi sur trois grappes de recommandations articulées autour du (I) rapport droit coutumier et droits de l’homme en droit interne nigérien, de la situation des (II) Institutions nationales des droits humains et du (III) droit à l’alimentation.
I. Droit coutumier et droits de l’homme
A : Recommandation du Comité DESC :
Après avoir regretté que « le cadre légal de l’État partie n’établit pas clairement que le droit coutumier doit respecter les obligations internationales de l’État partie en matière de droits de l’homme », le Comité DESC a recommandé à l’État du Niger « d’adapter son cadre légal afin qu’il soit clairement établi qu’en cas de conflit ses obligations internationales en matière de droits de l’homme priment le droit coutumier ».
B) Eléments de suivi de la recommandation par le groupe de travail DESC :
A ce sujet le groupe de travail fait remarquer que :
-i) La constitution en vigueur au Niger (art 171) place les normes internationales au-dessus des lois internes, en ces termes : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie » ;
-ii) La loi No2018-37 du 1er juin 2018, (art 72) précise que les juridictions appliquent la coutume des parties (…) « sous réserve du respect des conventions internationales régulièrement ratifiées » ; en vérité cette date de la loi organique N°2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger (art 63)[1].
Au surplus, cette disposition a connu, au moins, une application contentieuse par la cour suprême (arrêt No06142 du 18 Mai 2006) qui précise que « toute coutume qui n’est pas conforme aux conventions internationales régulièrement ratifiées doit être écartée ».
Il s’ensuit, par conséquent, en droit nigérien, que la norme coutumière ne s’applique que dans la mesure où elle n’est pas frontalement contraire aux obligations internationales conventionnelles de l’Etat du Niger.
II. Institution nationale des droits de l’homme
A : Recommandations du Comité DESC :
A ce sujet, les recommandations adressées à l’Etat du Niger visent principalement à garantir l’indépendance de la commission nationale des droits Humains (CNDH), conformément aux principes de Paris, à travers des mesures visant à unifier le processus de sélection de ses membres, à renforcer la représentation des femmes dans la Commission et son personnel, et à doter la CNDH des ressources suffisantes, etc.
B) Eléments de suivi de la recommandation par le groupe de travail DESC :
A ce sujet, s’il est vrai qu’il a été relevé l’adoption de la loi No2020-02 du 06 Mai 2020 modifiant et complétant la loi No2012-44 du 24 Aout 2012 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la CNDH), force est de constater que cette révision est limitée à élargir le mandat de la CNDH au mécanisme de prévention de la torture.
Cet élargissement du mandat de la CNDH constaté en 2020, s’il a le mérite d’être acté, force est, malheureusement, de constater qu’il n’est pas accompagné d’un accroissement des ressources budgétaires de cette institution.
S’agissant de la recommandation relative à l’unification du processus de sélection des membres de la CNDH ; la situation n’a pas évolué à ce sujet. En effet, sur les neuf (9) commissaires qui composent la CNDH, sept (7) sont « élus » par leurs pairs ; les deux autres personnalités ne sont pas élues mais nommées pour « représenter l’assemblée nationale » (art 3 de la loi No2012-44 du 24 Aout 2012).
En ce qui concerne la participation des femmes, il convient noter une relative avancée ; car, à la différence de l’équipe précédente qui n’en comptait qu’une, celle dont le mandat est en cours compte deux (2) femmes sur neuf (2) commissaires, soit 22%.
III. Droit à l’alimentation
A : Recommandations du Comité DESC :
A ce sujet, le Comité recommande, en substance, à l’État du Niger, non seulement « d’adopter une loi-cadre sur le droit à l’alimentation », mais aussi de mettre pleinement en œuvre l’Initiative 3N (« les Nigériens nourrissent les Nigériens») et d’accroître les efforts pour améliorer la productivité des petits producteurs agricoles en favorisant l’accès de ces derniers aux technologies appropriées et aux marchés, afin d’améliorer les revenus en zone rurale ; tout comme il lui est recommandé de collecter des données ventilées sur la prévalence de la faim et de la malnutrition, notamment par sexe, par âge et par milieu de vie (rural/urbain).
B) Eléments de suivi de la recommandation par le groupe de travail DESC :
S’agissant de la loi-cadre sur le droit à l’alimentation, il a été constaté qu’un texte de « proposition de loi portant loi-cadre sur le droit à l’alimentation » a été adressé le 4 octobre 2021 au Président de l’Assemblée Nationale par un député, en l’occurrence le 4eme vice-président de l’Assemblée Nationale. Le président de l’Assemblée Nationale, à son tour, comme le veut la procédure en la matière (Art 63.1/RI), a communiqué ladite proposition de loi au Gouvernement pour avis par lettre datée du 11 octobre 2021 ; Mais l’avis donné par le Gouvernement, par lettre No0160/SGG/DGL/DCCCM du 25 Octobre 2021, parait plutôt défavorable à l’adoption d’une loi cadre relative au droit à l’alimentation ; Selon l’avis du Gouvernement « cette proposition de loi sur l’alimentation n’est pas justifiée et pourrait exposer l’Etat à des charges financières difficilement supportables quand on sait que plus de 40% de la population nigérienne vit en dessous du seuil de la pauvreté ». Une telle posture du Gouvernement nigérien est curieuse, car l’adoption d’une loi relative au droit à l’alimentation découle non seulement des obligations internationales du Niger, mais aussi des prescriptions de la constitution dont l’article 12 énonce fort explicitement que : « chacun a droit {…} à une alimentation saine et suffisante dans les conditions définies par la loi ».
Toutefois, en dépit de cette résistance du Gouvernement, la proposition de loi demeure dans le circuit d’examen, sans visiblement une réelle chance d’être adoptée, au regard de l’influence factuelle qu’exerce le Gouvernement sur le vote des députés de la majorité.
En ce qui concerne la mise en œuvre des politiques publiques pour accroitre la productivité ; il faut noter qu’en dépit des efforts, importants, fournis par le Gouvernement, la situation alimentaire demeure très préoccupante. En effet, le bilan de la campagne agricole écoulée (établi en décembre 2021) indique que « la production céréalière brute par habitant (160 Kg/habitant), en 2021, est la plus faible depuis plus de 20 ans, et le déficit céréalier est le plus important depuis 20 ans »[2]. A cela s’ajoute un bilan fourrager lui-même déficitaire « de l’ordre de 15 269 916 TMS soit 45,82% » du besoin de cheptel national.
Consécutivement à ces déficits combinés à plusieurs autres facteurs, le nombre de personnes en insécurité alimentaire est estimée, pour l’année 2022, à « 8 346 995 personnes dont 2 554 833 personnes en insécurité alimentaire sévère »[3] et 5 792 162 personnes « sous pression »[4]. Selon les projections des mêmes experts, ce nombre des personnes en insécurité alimentaire pourrait atteindre, courant la soudure 2022, environ « 10,7 millions de personnes dont «3 616 244 en insécurité alimentaire sévère et 7 090 816 personnes sous pression ».
Conclusion
Au regard de ce qui précède, le groupe de travail prie le Comité DESC d’inscrire les principales préoccupations précédemment relevées sur la liste des points à traiter lors du futur examen du deuxième rapport attendu de l’Etat du Niger au plus tard le 31 Mars 2023. Autrement dit les points qu’il convient d’inscrire sur la liste des thèmes à traiter sont :
-Adopter une loi cadre relative au droit à l’alimentation ;
-Consacrer davantage de ressources en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte, notamment en matière du droit à l’alimentation, de protection sociale, de santé et d’inspection du travail, conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte.
i- Accroître ses efforts pour améliorer la productivité des petits producteurs agricoles en favorisant l’accès de ces derniers aux technologies appropriées et aux marchés, afin d’améliorer les revenus en zone rurale ;
ii- Collecter des données ventilées sur la prévalence de la faim et de la malnutrition, notamment par sexe, par âge et par milieu de vie (rural/urbain).
iii- Sensibiliser la population ainsi que les juges, les avocats et les autres agents publics aux droits du Pacte et à leur justiciabilité.
iv- Doter la Commission Nationale des droits humains de ressources suffisantes permettant à celle-ci d’accomplir pleinement son mandat.
v- Garantir un processus unifié d’élection des commissaires ainsi qu’une composition permettant d’assurer à la commission nationale des droits humains toute son indépendance, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) ;
Rapporteur
Ibrahim DIORI
Membres du Groupe :
Pr. Bachir Talfi Idrissa, agrégé des facultés de droit, FSJP /UAM ;
Pr. Adamou Rabani, agrégé des facultés de droit, FADG /UT ;
Mr Abibou Mounkaila, juriste, consultant externe du projet ;
Mr Ibrahim Diori, doctorant en droit public, FSJP/UAM, membre de l’association Alternative Espaces Citoyens (AEC-Niger) ;
[1] Pr Bachir Talfi Idrissa, quel droit applicable à la famille au Niger ? le pluralisme juridique en question, 2008.
[2] PAM, Niger : Crise alimentaire 2021-2022, synthèse des évidences, 29 décembre 2021.
[3] Rapport présenté par l’Etat du Niger (ministère de l’agriculture) à l’intention de la concertation régionale sur l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au sahel et en Afrique de l’ouest, tenue du 24 au 26 novembre 2021, à Banjul/Gambie, sous l’égide du RPCA. p. 47.
[4] Selon les termes du rapport susmentionnés, par personnes sous pression, il faut entendre celles qui « ont une consommation alimentaire minimale et ne sont pas capables de se permettre certaines dépenses non alimentaires essentielles sans s’engager dans des stratégies d’adaptation négatives irréversibles ».